Fin février 2018, j’étais dans la zone de la coopérative Kawa Kanzururu, au pied du mont Ruwenzori, en territoire de Beni, province du Nord-Kivu dans l’Est de la République démocratique du Congo. Le café arabica de cette coopérative suit un traitement par voie humide avec toute la rigueur de façon à lui donner la couleur du « lwanzururu », la neige éternelle des monts de la lune. Et comme la qualité paie, la coopérative vient de remporter le concours Taste of Harvest. Organisé par l’African Fine Coffees Association, AFCA, début janvier 2018 à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, ce concours était ouvert aux cafés fins congolais. Aujourd’hui, je vous amène à Rugetsi à la rencontre de quelques-uns de ceux qui font ce café congolais aujourd’hui vendu aux USA…
Avant tout, rendons-nous à la micro-station de lavage de café. Ici, nous attendent quelques caféiculteurs. Eliezer Nyanza est le président de cette micro-station de lavage de café, section de la coopérative Kawa Kanzururu. Il reçoit le café cerise, le met dans l’eau pour séparer les bonnes cerises des mauvaises par flottaison. Puis, il actionne la dépulpeuse. Cette machine enlève les pulpes de la fève. Le café est alors amené aux tables de séchage pour un tri rigoureux avant les autres étapes de traitement. C’est là que je m’entretiens avec lui, sous un hangar…
Une partie de notre café vient de Mbili, Rugetsi centre, Vuseru, … Une quantité non négligeable de café vient de Chuna, Vuhira, et Vumiri.
Oui, c’est ça.
Le café quitte les hautes terres à dos d’hommes et de femmes. Vraiment, c’est cela le moyen de transport des champs des hautes terres jusqu’ici à la micro-station.
Le café arrive ici encore en bon état… mais la couleur de la cerise semble changer un peu du fait de la distance qui sépare les champs des caféiculteurs et la micro-station de lavage de café…
Oui, la couleur de la cerise semble changer du rouge vif au rouge sombre… c’est juste le fait que le café est transporté à dos d’hommes sur de longues distances mais nous nous assurons de la qualité du café traité ici…
Nous le trions, mettons ça dans l’eau… et le café qui reste au-dessus de l’eau lors de cette étape, nous le remettons aux caféiculteurs et rentrent avec chez eux car nous avons seulement besoin de café de qualité.
Oui, c’est ça.
Nous mettons ce café dans la dépulpeuse pour son traitement. Après quoi, nous faisons encore la sélection des bonnes fèves, séparons les pulpes et autres mucilages avant la fermentation. La fermentation dure un jour et demi.
Puis nous lavons ce café et l’amenons sur les tables de séchage.
Oui ! Puis, nous le trions encore une fois. Le bon café est mis de côté. Après quoi, nous emballons ce café dans des sacs puis l’acheminons à la coopérative, au bureau, à Lume.
C’est une très bonne nouvelle… je suis hyper content pour cela… C’était un rêve … C’est la première fois d’apprendre que le café de Rugetsi est parti en Occident… J’en suis fier !
J’ai déjà acheté une moto, la voilà là-bas. J’ai aussi acheté une parcelle. Je viens aussi d’acheter un nouveau champ.
Les autres ? Leur vie est aussi en train de changer. Il y en a qui achètent des champs, d’autres achètent des parcelles. Les enfants vont à l’école, ce qui est une bonne chose.
On ne se souciait guère de la qualité du café. Le café partait en Ouganda par la fraude. On ne faisait pas le traitement de qualité. C’était le pilonné. Le café traversait la brousse par fraude jusqu’en Ouganda.
Certains d’entre-nous se faisaient arrêter. D’autres sont même morts en essayant de faire passer le café par fraude en Ouganda.

Nous quittons les installations de la micro-station de lavage de café de Rugetsi. L’atmosphère est en train de changer. Le ciel s’assombrit, signe qu’il va bientôt pleuvoir. À quelques encablures, des champs de café. Bifurquons un peu et chaussons nos « ketchs » ou bottes pour aller rencontrer une caféicultrice. Elle est en train de cueillir du café dans son champ. Visiblement, ce sont les dernières cerises avant la fin de la saison culturale. Après une dizaine de minutes, nous voici chez elle, au milieu de cette verdure. Deux bâtisses en matériaux semi-durables. Au coin de l’une des maisons, j’aperçois la présence des chèvres : c’est important comme signe de richesse dans la région. Elle sort quelques bancs et nous nous mettons au milieu de la cour pour l’entretien. Sous une fine pluie.
Kavugho Yambuka.
25 ans.
En fait, non. C’est mon champ. Je l’avais acquis moyennant une poule.
Un hectare.
On vendait aux ougandais. Pas de soucis de qualité. Pas de tri. On pilait le café mûr et celui qui est encore vert. Puis, on le séchait par terre. Avant livraison aux ougandais, à vil prix.
Oui ! à vil prix !
Oui, ils venaient chercher le café ici…
À l’époque des fraudeurs venant de l’Ouganda, on bradait souvent le café… on vendait le café alors qu’il était encore en fleurs. C’était avant l’arrivée de la coopérative.
On n’avait aucun choix…il n’y avait aucun autre acheteur, comme la coopérative. Si par exemple, ton enfant tombe malade, tu vas chez le fraudeur et tu lui demandes l’argent. En contrepartie, tu lui livres tout le café. À vil prix.
Très souvent, on vendait tout notre café avant la saison… à vil prix !
Malheureusement, on ne gagnait rien !
Et vous ne pouviez pas réclamer ?
Ouf ! Heureusement que la coopérative est venue ! La coopérative est venue nous libérer du joug des fraudeurs ! De nos jours, personne ne peut livrer son café aux fraudeurs ougandais…
Grace au café, mes enfants sont scolarisés.
J’ai six enfants. Et ils sont tous en train d’aller à l’école.
Oui, c’est ça !
Je ne peux plus vendre mon café aux fraudeurs ougandais… tout mon café sera traité à la micro-station de lavage de café afin d’être vendu sur le marché international.
Ah ! Euh bien, buvez notre café. Donnez-nous un prix rémunérateur afin que nous puissions gagner encore plus ! Voilà donc mon message : un prix encore plus élevé !
Oui, c’est ça. Nous allons traiter notre café selon les normes de qualité…
