Riz durable

Professionnalisation de la riziculture au Tanganyika : le chemin parcouru à Kamangu

September 10, 2021
Dieudonné Kabemba Éric
Agronome basé à Kamangu-Rugo

Grâce au Programme intégré de croissance agricole dans les Grands Llacs, PICAGL, projet du gouvernement congolais financé par la Banque mondiale et mis en œuvre par Rikolto en RD Congo dans le volet riz, la riziculture change de visage dans les provinces du Sud-Kivu et Tanganyika. Exemple du bassin de production de Kamangu, à une trentaine de kilomètres de la ville de Kalemie dans la province du Tanganyika.

Kamangu-Rugo, une trentaine de kilomètres de la ville de Kalemie, le chef-lieu de la province du Tanganyika, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Dans cette partie du territoire de Kalemie, Rikolto en RDCongo œuvre aux cotés des riziculteur·rice·s congolais·es pour changer les pratiques. Car oui, il faut beaucoup de choses pour conquérir le marché du riz de table en milieu urbain. Tout commence au champ. Un vrai parcours dont voici mon témoignage en tant qu’agronome encadreur·e des riziculteur·rice·s.

J’ai commencé à travailler ici en mai 2019. Ma mission était de faire le suivi de proximité des riziculteur·rice·s à travers les champs-écoles paysans. Le gros de mon travail sur terrain était de sensibiliser, former et encadrer les riziculteur·rice·s dans leur processus d’expérimentation à travers les champ-écoles paysans, CEP. Le CEP est une école « sans murs ». C’est un cadre de rencontre et de formation pour un groupe de 20 à 32 producteur·rice·s, qui se déroule dans un champ, tout au long d’une saison de culture. C’est un lieu d’échange d’expériences et de connaissances où des producteur·rice·s qui partagent les mêmes intérêts, recherchent, discutent et prennent des décisions sur la gestion d’un champ en partant de sa situation réelle.

Le champ-école paysan donne aux producteur·rice·s l’opportunité d’apprendre en pratiquant, en étant impliqué·e·s dans l’expérimentation, les discussions et la prise de décision. Dans mon rayon d’action, un dispositif a été édité, subdivisant les parcelles en trois expérimentations dont la gestion intégrée de la fertilité du sol (GIFS), le système de riziculture intensive (SRI) ainsi que la pratique paysanne (PP) avec la variété locale et la variété améliorée.

Les objectifs poursuivis par les riziculteur·rice·s dans les champs-écoles se résument en ces termes :

  • Identifier, analyser et interpréter les informations concernant les problèmes de leur champ,
  • Prendre des décisions basées sur l’analyse de leurs propres expérimentations (parcelles d’apprentissage),
  • Evaluer les résultats pour pouvoir orienter leurs décisions futures, y compris celle d’adoption ou de non-adoption.

La sensibilisation

La sensibilisation n’a pas été facile pour moi d’autant plus que la plupart des riziculteur·rice·s, issu·e·s de différentes catégories, étaient accroché·e·s à leur ancienne méthode de culture, ne voulant pas intégrer de nouvelles approches pour accroitre leur production agricole. Je me suis montré plus persuasif à jamais pour convaincre 675 riziculteur·rice·s avec qui nous avons installé 27 CEP. Chaque CEP était composé de 5 membres d’un comité de gestion élu·e·s, dont un·e président·e, un·e vice-président·e, un·e secrétaire, un·e trésorier·e et un·e vice-trésorier·e, y compris un·e facilitateur·rice non-membre du comité de gestion, qui était capable de tenir les fiches d’analyse de chaque CEP.

En principe, tous les champs ont été livrés volontairement par les membres des CEP. Dans mon cas, certains lopins de terrain ont été donnés par certaines coopératives comme Emo Baraka, SOCOODAC, mesurant entre 0,09 ha et 0,23 ha.

Différence entre technologies

Deux technologies nouvelles ont été introduites dans le bassin de Kamangu/Rugo dans la zone de la plaine de la Rugumba, par Rikolto à travers le projet PICAGL. Il s’agit du système de riziculture intensive (SRI) et de la Gestion intégrée de la fertilité des sols (GIFS). Le SRI, est une approche de production agroécologique basée sur quatre principes fondamentaux combinant les pratiques de gestion des cultures, de l'eau, du sol et des éléments nutritifs: :

  1. Favoriser un établissement rapide et sain des jeunes plantes
  2. Réduire la concurrence entre les plantes
  3. Créer des sols fertiles riches en matière organique et de bonne activité biologique et
  4. Gérer l’eau avec soin, éviter les inondations et le stress de l’eau, pour un développement idéal des plantes.

Ces principes sont les mêmes que pour la GIFS mais au niveau des pratiques, quelques différences sont à noter.

La récolte dans les CEP

Avec les CEP, j’ai obtenu gain de cause car les rendements obtenus dans chaque CEP pour les parcelles au SRI et GIFS ont été largement supérieurs aux parcelles qu’occupait la pratique paysanne (PP). Ceci a attiré l’attention de plusieurs riziculteur·rice·s comme de la magie, car la production pour eux a atteint son summum.

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Arriver à ce résultat, c’était un véritable supplice pour moi car, j'étais confronté à plusieurs défis, tous liés à l'obtention d'un rendement bien meilleur qu'avant. D'une part, j’avais en face de moi plusieurs catégories de riziculteur·rice·s : des hommes et femmes doux·ces, cherchant à apprendre, d’autres très arrogant·e·s, à la suite de leurs expériences avérées dans la riziculture (« un jeune comme cet agronome, il veut nous apprendre quoi ? »). D'autre part, la sécheresse, le manque d'aménagement des canaux d'irrigation qui sont en opposition avec la bonne gestion et l'obtention de la quantité optimale d'eau pour la production rizicole en système irrigué. J’ai ressenti une joie immense quand l’heure des récoltes est arrivée. Les quantités récoltées ont été l’indicateur plus qu’objectivement vérifiable au point que tou·te·s les riziculteur·rice·sont exprimé le besoin d’en savoir plus pour enfin adopter les nouvelles technologies.

Pour la première année, un seul riziculteur nommé Abedi Zakaria âgé de 43 ans, a eu la souplesse d’adopter le SRI dans une superficie de 0,25ha. Son résultat ? Une récolte de 8.3t/ha a été un témoignage vivant dans mon site en approuvant les résultats obtenus dans les CEP.

Adoption des technologies

Après avoir installé ces champs-écoles paysans dans le bassin de Kamangu/Rugo, les résultats issus non seulement des CEP mais aussi du riziculteur de référence Abedi Zakaria ont débouché sur plusieurs adoptions. Les riziculteur·rice·s ont adopté totalement ou partiellement le paquet technologique du SRI, notamment, la prégermination et la pépinière, le moment de repiquage, le repiquage en ligne.

Dans mon site, j’ai suivi 409 riziculteur·rice·s adoptant·e·s, dont 191 femmes et 218 hommes. De ces 409 riziculteur·rice·s, 98 ont appris des autres riziculteur·rice·s qui étaient dans les CEP et 311 issu·e·s des CEP. J’aurais pu suivre plus que ceux-là : l’indisponibilité des intrants, à l’occurrence les engrais, est un frein. Ils·Elles sont prêt·e·s à adopter car ils·elles sont convaincu·e·s que ces deux technologies en promotion dans leur bassin par Rikolto sont une grande voie vers l’intensification de la riziculture qui déboucherait en une amélioration de leur situation socio-économique.

En ce qui concerne les rendements des adoptant·e·s qui s’en ont suivis, pour ceux qui ont été rigoureux, ils·elles sont arrivé·e·s à produire de 5 à 6t/ha, résultat bien meilleur que ce qu’ils·elles obtenaient avec la pratique paysanne. Ainsi, avec le résultat de vente de leurs productions, il y a un changement significatif de leur situation socio-économique.

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