Riz durable

Rikolto fête l’indépendance du Congo avec le lancement du label de riz de qualité Nyange Nyange

June 30, 2021
Ivan Godfroid
Conseiller régional en développement commercial

La première fois que je descendais dans la plaine de la Ruzizi, province du Sud-Kivu, il y a de cela 11 ans, j’étais étonné d’entendre chaque riziculteur·rice à qui je parlais répéter la même plainte : c’est dur d’être riziculteur·rice, car nous n’avons pas de marché pour notre riz. J’avais du mal à comprendre : à une distance entre 60 et 130 km des rizières est située la ville de Bukavu, avec plus d’un million d’habitant·e·s. Est-ce que ces citadin·e·s ne mangent donc pas de riz ? Une enquête rapide en ville montrait le contraire : des dizaines de milliers de tonnes sont importées chaque année. Et les producteur·rice·s disent qu’il n’y pas de marché ?

Il s’est avéré que la réalité était un peu différente : il n’y avait pas de marché pour le riz tel qu’ils·elles le produisaient. Seulement la brasserie Bralima achetait le riz, car eux ils ont seulement besoin d’hydrates de carbone pour la fermentation. La première chose qu’ils font, c’est moudre le riz avant de l’ajouter aux cuves. Mais le riz que les producteur·rice·s de la plaine parvenaient à vendre aux consommateur·rice·s, ne faisait que susciter des frustrations : des graines mal décortiquées, trop de brindilles ou de particules de balle de riz, des brisures en grande quantité, ou pire encore, des grains de sable ou des petits cailloux, qui sont destructeurs pour les dentures. Pas étonnant que le·la consommateur·rice de Bukavu, interrogé·e sur son appréciation du riz congolais, utilisait des adjectifs hyper-sévères pour décrire ses mésaventures gastronomiques.

Le riz importé : un choix facile

Le·La consommateur·rice de Bukavu se contentait dès lors de manger le riz asiatique, qui avait traîné pendant 2, 3 ans dans les stocks stratégiques des pays producteurs, avant d’être vendu sur le marché mondial à bas prix. Que ce riz n’ait pas de goût frais, c’ést moins grave, au moins il ne casse pas les dents, et les mamans peuvent le mettre dans la casserole sans avoir à le trier à la main. Et ceux·celles qui en ont les moyens, peuvent toujours acheter le riz tanzanien qui, lui, est bien plus frais et a plus de goût. Et puis, si un·e distributeur·rice voulait acheter des grandes quantités de riz dans la plaine, il·elle n’avait même pas d’interlocuteur·rice fiable. Tous·tes les vendeur·euse·s de riz n’y avaient qu’une petite quantité. Impossible d’organiser une chaîne de distribution urbaine avec des quantités aussi erratiques.

Le premier défi était ainsi clair : il fallait produire des volumes importants de riz de meilleure qualité, de qualité au moins aussi bonne que le riz de la Tanzanie, à un prix compétitif.

Des décortiqueuses performantes

La première innovation que nous avons testée était l’achat, en cofinancement, de deux machines décortiqueuses, capables de séparer le riz décortiqué en quatre fractions : la première bouche donne le riz entier, la deuxième le riz brisé, la troisième le son de riz et la quatrième toutes les impuretés. Nous avions lancé un appel à manifestation d’intérêt, et deux coopératives, ADPA et COOPABA, avaient rempli les conditions. Les machines, importées du Brésil, n’ont malheureusement pas pu bénéficier de l’exonération des droits d’entrée, promise par la loi agricole, faute de mesures d’application. Un exemple clair de l'environnement peu propice aux affaires en RDC.

Avec cette approche, malgré le coût exorbitant de l’investissement, il était possible de produire déjà un riz de bien meilleure qualité. Mais l’offre était loin d’être constante, et la qualité du paddy, par moment, montrait des défauts inacceptables. Un des problèmes majeurs était l’inconsistance du paddy : chaque producteur·rice faisait son propre choix de variétés et les semences dont il disposait avaient dégénéré depuis des années. D’autres se retrouvaient avec des mélanges variétales.

C’est à ce moment-là que le PICAGL a fait son entrée au Sud-Kivu : le Programme intégré de croissance agricole dans les Grands Lacs, un projet du Gouvernement de la RDC, financé par la Banque mondiale, a sélectionné Rikolto pour la mise en œuvre de l’appui à la filière riz, et cela nous a permis de développer une approche systémique.

Une mise à échelle avec l’appui du PICAGL

D’abord il fallait démontrer aux producteur·rice·s qu’en utilisant des pratiques agricoles efficaces, l’augmentation du rendement était facile à réaliser. La gestion intégrée de la fertilité des sols (GIFS) tout comme le système de riziculture intensive (SRI) ont été comparés dans des centaines d’écoles-paysans, que mes collègues-agronomes ont décrits amplement dans leur articles récents sur ce site. Si les pratiques paysannes donnaient un rendement de 2 tonnes/hectare, le SRI produisait 5,5 tonnes/hectare et la GIFS en moyenne 6,1 tonnes /hectare. Il n’existe pas de meilleure façon de convaincre un·e producteur·rice : même avant la moisson des champs-écoles, ils·elles avaient déjà commencé à adopter les nouvelles techniques dans leurs champs.

En même temps, il fallait harmoniser les variétés. Une sélection variétale participative en début du projet a permis de choisir ces variétés qui étaient préférées par les consommateur·rice·s de Bukavu : Tai, Komboka et V046 ont été retenues. La multiplication des semences a pu se faire en collaboration étroite avec des agri-multiplicateur·rice·s privé·e·s. Ils·Elles ont produit 170 tonnes de semence améliorée, ce qui suffit pour emblaver 8.500 hectares, plus que les superficies actuellement en production. C’est question maintenant de bien séparer ces variétés à partir des champs déjà, pour éviter des mélanges, et pouvoir offrir au·à la consommateur·rice un riz de qualité homogène.

Genèse d’un label de qualité

Label Nyange Nyange

Ce qu’il fallait faire maintenant, c’est combattre les préjugés des consommateur·rice·s. On avait beau leur dire que le riz congolais est bon, les traumatismes gastronomiques subis leur rappelaient du contraire. Ensemble avec une organisation d’appui à l’entrepreneuriat, appelée « La Différence », Rikolto a entamé un long processus de co-conception d’un mécanisme d’assurance de qualité. Un label a été conçu pour symboliser que l’emballage qui porte ce label contient du riz de qualité supérieure. Le label montre une aigrette (appelée nyange nyange en langue locale), un oiseau qui passe beaucoup de temps dans les rizières et dont la couleur blanche symbolise la pureté du riz.

Une asbl du même nom a été créée en décembre 2020 à Bukavu, et une petite équipe a été mise en place. Un·e inspecteur·rice mobile se rend dans les coopératives qui disposent d’une bonne décortiqueuse pour aller évaluer le riz à base d’une liste de critères, préétablis ensemble avec les consommateur·rice·s. Seul les lots de riz qui passent l’évaluation sur toute la ligne bénéficient du label, et peuvent acheter les sacs labélisés chez l’asbl Nyange Nyange, seul distributeur du sac, avant de les remplir et de les vendre.

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Rizière au Sud-Kivu
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Décollage de l’aigrette

Le 29 juin 2021, nous avons lancé officiellement le label Nyange Nyange. Comme le PICAGL est un projet du gouvernement congolais, le ministre provincial de l’agriculture, S.E. Marcellin Bahaya a présidé la cérémonie de présentation du label. Pour concrétiser le lancement, les coopératives avaient amené 12 tonnes de riz labelisé au Chapiteau à Bukavu, pour la vente de lancement, à un prix promotionnel de 16 $ pour un sac de 25 kg, un prix vraiment extraordinaire pour un riz de cette qualité impeccable. Le ministre lui-même, sans hésiter, a acheté, devant les caméras, une tonne de riz, et quelques heures plus tard, toute la quantité avait trouvé un·e preneur·se.

Parmi eux, un distributeur, VenDis, qui est prêt à s’engager à long terme avec les coopératives qui mériteront le label Nyange Nyange. Déjà une commande de 10 tonnes auprès des coopératives, souscrite lors de l’évènement, est de bonne augure pour la suite. Et cette suite, elle est en mains des acteur·rice·s de la filière.

Le riz délicieux, nutritif, sain, propre et produit chez nous de façon durable, est désormais disponible pour la population urbaine de Bukavu

Fidèle Mutabazi Gérant de la coopérative ADPA

La filière a besoin de crédits agricoles et de collecte

Tout d’abord, les producteur·rice·s doivent, sous la coordination des coopératives, s’engager dans une planification commune de la production, en veillant à utiliser les semences préférées, et en assurant une disponibilité de paddy tout au long de l’année, sans interruption. Cela pourra marcher si les institutions financières acceptent d’octroyer le crédit agricole aux producteur·rice·s, à travers les coopératives. Nous sommes conscients que les banques généralement évitent le secteur agricole, à cause du risque élevé perçu, mais si une labellisation de qualité est traduite en une contractualisation ferme, les craintes des banques devraient se dissiper et l’offre de produits financiers adaptés au secteur rizicole serait bénéfique pour tou·te·s les partenaires. Ainsi, le remboursement pourrait se faire en nature par les producteur·rice·s auprès de leur coopérative, et transformés en argent à travers la vente des coopératives, pour un remboursement groupé à la banque.

Les coopératives elles aussi, auront besoin de crédits pour la collecte du riz paddy. Entre l’achat du riz et la vente sous label, en principe peu de temps devrait s’écouler, ce qui crée des conditions propices à la mise en place d’une ligne de crédit, qui permettrait de faire des rotations fréquentes.

Un label durable

Mais en fin de compte, c’est le·la consommateur·rice qui détient la clé du succès : si la demande du riz connaît une croissance importante, le·la producteur·rice sera encouragé·e à investir, et le volume permettra, en prélevant un tout petit % sur les ventes du riz labellisé, de couvrir tous les frais de fonctionnement de l’asbl Nyange Nyange. La labellisation sera alors rendue durable, grâce à la confiance qu’elle aura pu susciter au sein de la population consommatrice de riz de Bukavu.

Gouvernance alimentaire

Pour Rikolto, cette aventure dans la filière riz est un apprentissage en matière de l’amélioration des systèmes alimentaires urbains. A partir de 2022, notre organisation compte élargir son approche vers d’autres aliments-clé dans les villes (maïs, haricots, manioc – y compris isombe) et vers d’autres villes (en plus de Bukavu, aussi Kalemie, Goma, Bunia).

Cette nouvelle approche de Rikolto, captée sous le vocable ‘Food smart cities’, est construite sur les grandes leçons de la pandémie du covid-19 : en RDC, la population urbaine, qui dépend pour ses besoins alimentaires pour plus de deux milliards de dollars américains par an d’importations, a intérêt à développer des chaînes d’approvisionnement beaucoup plus courtes, avec les producteur·rice·s congolais·es de proximité d’aliments sains et nutritifs, produits de façon durable. Et avec une gouvernance alimentaire urbaine, où tou·te·s les acteur·rice·s des filières courtes se rencontrent avec les autorités et les consommateur·rice·s, pour gérer ensemble l’accès à la nourriture saine pour tou·te·s. Nous espérons que les bienfaits de cette approche innovante auront une réplication sur le plan national, pour établir ainsi une réelle indépendance alimentaire en RDC. Voilà notre façon de célébrer le 61ième anniversaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo. Bonne fête à toutes et à tous, et bon appétit !

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