
Avec la fluctuation des prix du café et la multiplication des défis climatiques et économiques, la filière café se trouve à un tournant crucial de son évolution. Pour lui permettre de prospérer dans ce paysage en constante mutation, Rikolto a fait de la diversification une stratégie clé. En investissant dans des initiatives innovantes de diversification, les coopératives caféières et leurs membres ont renforcé leur résilience tout en contribuant à la préservation de l’environnement et à la création de nouvelles opportunités économiques.
Bien que le café soit la deuxième matière première la plus importante au monde après le pétrole et la deuxième boisson la plus consommée après l’eau, le secteur fait face à de grandes difficultés en termes de viabilité économique. Ses performances économiques dépendent des exportations, ce qui rend les producteur·rice·s, dont le revenu dépend principalement du café, particulièrement vulnérables à la volatilité des prix et de la production.
En 2020, les coopératives caféières de la RDC soutenues par Rikolto ont été durement touchées par la pandémie de COVID-19. Les inspections externes nécessaires à la certification ont été retardées et les exportations entravées par les restrictions sur la circulation des personnes et des biens. Le non-rapatriement des fonds liés à la commercialisation du café et le manque de liquidités ont exposé ces coopératives à des pertes financières insoutenables.
Des enquêtes menées en République Démocratique du Congo en 2022 ont révélé un écart significatif entre le revenu vital (revenu suffisant pour assurer un niveau de vie décent à tou·te·s les membres du ménage), estimé à 2 316 $ dans les zones de production caféière de la RDC*, et le revenu réel des ménages ruraux, de 1 400 $**, soulignant la nécessité de trouver des alternatives pour combler cet écart.
(Sources : *Méthodologie Anker ; **enquête participative menée par Rikolto à Rutshuru).
En Ituri, la déforestation est aggravée par l’exportation non régulée de cultures comme le cacao et le café, qui entraîne l’ouverture de nouvelles zones de culture ainsi que l’exploitation et la commercialisation de bois d’œuvre et de bois-énergie, principalement pour des besoins de subsistance. Il est donc essentiel d’accompagner les communautés agricoles dans leur transition vers des modèles plus productifs, diversifiés et économiquement viables, ayant un impact moindre sur la forêt.
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Grâce aux cultures associées au café, une plus grande variété d’aliments est désormais disponible tout au long de l’année et les revenus issus du café sont réinvestis dans des projets de grande envergure, explique Vossi Luseya, producteur COOKKANZ à Mathungu.
Les producteur·rice·s constituent le maillon le plus vulnérable de la chaîne de valeur du café, mais la diversification peut jouer un rôle de catalyseur du développement durable en favorisant la biodiversité, en renforçant l’autonomisation des producteur·rice·s et en stimulant la croissance économique par d’autres sources de revenus. La diversification peut être horizontale, via l’introduction d’autres cultures ou activités économiques, ou verticale, grâce au développement de nouveaux types de produits dérivés du café.
Depuis 2014, Rikolto accompagne six coopératives de producteur·rice·s de café dans la mise en place de microstations de lavage afin de garantir une qualité constante du café et de faciliter l’accès aux marchés. Cependant, notre approche a évolué : d’un accent porté uniquement sur la production et la commercialisation du café, nous sommes passé·e·s à une approche systémique qui prend en compte la résilience et la prospérité des communautés caféières. Trois projets récents, financés par le FIDA, le PNUD et la DGD, ont permis de lancer d’importantes initiatives de diversification dans les régions du Kivu et de l’Ituri.
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Avec l’appui de Rikolto, les caféiculteur·rice·s membres de la COOPADE ont été les premiers·ères à expérimenter l’intégration de la culture du pois d’Angole (haricot pigeon vert) dans leur production de café. Iels ont été suivi·e·s par la SCPNCK, qui a introduit un haricot bio fortifié et en a produit 6,5 tonnes, dont 78 % ont été commercialisées par la coopérative. Actuellement, 15 600 producteur·rice·s intègrent les haricots dans leurs caféières. Au total, 450 femmes issues des coopératives mentionnées et de la CKK ont bénéficié de 4 000 kg de semences de haricot nain, qu’elles ont utilisées pour produire 80 tonnes de haricots sur 133 hectares destinés au marché local. Ces femmes ont également été formées à la culture de champignons, une méthode innovante de valorisation de la pulpe de café.
Plus de 45 000 rejets de bananiers ont été installés dans les caféières par les trois coopératives, ce qui a entraîné une hausse de la production de bananes et renforcé la sécurité alimentaire locale des producteur·rice·s de café en RDC.
La vente de bananes me procure une source de liquidités efficace en complément des revenus du café. Je n’ai plus à craindre la saison de soudure. J’ai de l’argent liquide toute l’année, témoigne Kalubero, caféiculteur de Kyondo et membre de la coopérative CKK.
Ces initiatives de diversification ont entraîné une augmentation remarquable de plus de 47 % des revenus des caféiculteur·rice·s : ceux-ci sont passés de 1 045 $ à 1 962,9 $ par an. Ces revenus plus élevés ont aussi permis de renforcer les Associations villageoises d’épargne et de crédit (AVEC), mises en place pour encourager l’entraide. À ce jour, on compte 195 AVEC regroupant plus de 3 000 producteur·rice·s.
En Ituri, Rikolto a introduit des systèmes agroforestiers dynamiques dans le cadre du projet PIREDD-O, mené par la Wildlife Conservation Society (WCS) et aligné sur l’initiative REDD+, qui vise à réduire les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts. Ces systèmes intègrent café, cacao et palmier à huile sur 2 483 hectares, associés à des arbres productifs et à diverses cultures vivrières comme les haricots, l’arachide, le maïs et les bananes sur 436 hectares. Cette approche intégrée a non seulement permis d’accroître la productivité agricole, mais elle a aussi entraîné une augmentation significative de 55 % du revenu annuel des producteur·rice·s.
L’agroforesterie présente également de nombreux avantages pour la planète. La combinaison de différentes cultures optimise l’utilisation des terres et réduit la nécessité d’ouvrir de nouvelles parcelles. De plus, la matière organique générée par les cultures pérennes améliore la fertilité des sols, contribuant ainsi à une productivité agricole accrue.
La diversification des sources de revenus a aussi été favorisée par la mise en place de mécanismes communautaires d’épargne et de crédit, qui ont permis de financer 40 microentreprises et activités génératrices de revenus, telles que la fabrication de savon, la confection de vêtements, la coiffure masculine, la commercialisation de l’eau ainsi que de petites entreprises de vente de produits manufacturés et agricoles.
En 2021, le café de Kibirizi a officiellement fait son entrée sur le marché international, atteignant un score de qualité de 85 %, conforme aux standards de l’American Speciality Coffee Association. Cette réussite a été rendue possible grâce aux progrès remarquables de la coopérative COOKURU, qui a bénéficié d’équipements de haute performance et d’une formation approfondie au protocole de traitement des cafés de spécialité, dispensée par Rikolto avec les fonds du projet PASA-NK du FIDA. Mais cela ne suffisait pas.

Pour combler l’écart de revenus, le manioc et les bananes ont été retenus comme principales cultures alternatives. À ce titre, 66 femmes ont été formées par Rikolto à la production de farine de haute qualité et accompagnées dans sa commercialisation à Goma. Avec une capacité individuelle de 1 400 kg de cossettes fraîches de manioc par semaine, ces femmes ont généré un revenu additionnel moyen de 140 $ par semaine, soit un revenu brut annuel de 1 680 $, correspondant à 72,5 % du revenu vital de référence en RDC.

Nous nous engageons à donner la priorité au renforcement du rôle et de la position des femmes dans la caféiculture, ainsi qu’à les former à la production de lait de soja, à l’amélioration de la qualité de la farine de manioc et à la transformation des fruits, le tout dans le but de soutenir la sécurité alimentaire.
Étant donné le grand volume de Nescafé importé et consommé en RDC, le potentiel du marché local est important, mais le café produit localement reste moins connu. Transformer le café sur place serait une solution sûre pour s’affranchir des diktats des marchés financiers, dont les mécanismes de fixation des prix échappent aux coopératives. Avec le soutien de Rikolto, LM Coffee, une initiative dirigée par des jeunes, torréfie, conditionne et commercialise désormais du café 100 % congolais dans les supermarchés, hypermarchés et boutiques. Quatre nouvelles entreprises ont été identifiées à Goma, dont trois sont détenues par des femmes, pour bénéficier de formations ainsi que d’équipements de torréfaction et de distribution.
Des actions sont également prévues pour sensibiliser aux avantages du café produit localement, former les hôtels et autres consommateur·rice·s à sa préparation et, à terme, développer le marché. Rikolto continuera par ailleurs à travailler sur le revenu vital des petit·e·s producteur·rice·s de café en RDC en développant de nouvelles activités de diversification, comme l’apiculture, et en facilitant l’accès à un marché rémunérateur pour les produits et services issus de cette diversification. Rikolto a fait le choix d’investir dans le développement des marchés locaux, et le marché du café ne fait pas exception.
