Riz durable

Nyange Nyange : un label local qui facilite l’accès au marché pour les riziculteur·rice·s congolais·es

July 15, 2023
Arsène Nyangezi
Agronome basé à Sebele

La République Démocratique du Congo (RDC), et le Sud-Kivu en particulier, dispose d’un potentiel de production considérable pour le riz, à la fois pluvial et irrigué. La riziculture pluviale dans l’est de la RDC remonte à plus d’un siècle, tandis que la riziculture irriguée est beaucoup plus récente et a été introduite par la coopération taïwanaise dans la province du Sud-Kivu.

Le riz est devenu l’un des aliments de base les plus consommés en RDC et constitue également un ingrédient essentiel pour les brasseries. Malheureusement, dépendant à près de 80 % des importations de riz, les consommateur·rice·s de la ville de Bukavu (la principale zone de consommation de la province du Sud-Kivu) restent vulnérables aux chocs éventuels du marché mondial, alors même que la RDC en général, et le Sud-Kivu en particulier, dispose d’un immense potentiel de production rizicole.

Afin de réduire cette vulnérabilité et de développer ce potentiel sous-exploité, Rikolto soutient les coopératives de riziculteur·rice·s de l’est de la RDC par la diffusion de technologies innovantes et durables (telles que le Système d’Intensification du Riz, le Sustainable Rice Platform Standard, la Gestion Intégrée de la Fertilité des Sols, …) afin d’augmenter les rendements tout en facilitant l’accès au marché. En moyenne, les producteur·rice·s ont augmenté leur productivité de 80 %, passant de 2,5 à 4,5 tonnes/ha/saison. Pour accéder au marché, Rikolto a également soutenu la création d’un label local de riz appelé Nyange Nyange.

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De l’amélioration de la qualité à la sensibilisation des consommateur·rice·s

Pour répondre à la demande des consommateur·rice·s de la ville de Bukavu (qui compte environ 1,6 million d’habitant·e·s), le marché est inondé de riz importé, resté le choix privilégié pour la consommation domestique. Cette préférence pour le riz importé s’explique par la qualité médiocre et imprévisible du riz local, due aux impuretés, à un mauvais broyage, à l’absence de traçabilité avec des emballages ne fournissant pas d’informations sur l’origine et la valeur nutritionnelle, ainsi qu’à sa rareté et son irrégularité sur le marché.

Améliorer la compétitivité du riz produit par les coopératives de petit·e·s producteur·rice·s du Sud-Kivu nécessite d’abord la mise en œuvre d’une stratégie d’amélioration de la qualité, suivie d’une stratégie de communication auprès des consommateur·rice·s. Cela a conduit à l’idée de créer un label indépendant pour le riz local de qualité, afin de garantir sa compétitivité par rapport aux produits importés.

Rikolto, actif dans le secteur rizicole du Sud-Kivu depuis plusieurs années, a facilité et soutenu un processus de cocréation d’un label pour assurer la qualité du riz local dans le cadre du Projet Intégré de Croissance Agricole dans les Grands Lacs (PICAGL). Cela a été réalisé à travers une série d’ateliers réunissant différents acteur·rice·s de la filière rizicole, incluant producteur·rice·s, transformateur·rice·s, transporteur·rice·s, grossistes et détaillant·e·s, ainsi que les consommateur·rice·s. Ces ateliers ont conduit à la création d’une organisation à but non lucratif appelée Nyange Nyange et d’un label portant le même nom. Ce nom provient d’une aigrette blanche (Ardea alba), connue localement sous le nom de Nyange Nyange, que l’on trouve habituellement dans les rizières. Contrairement à d’autres oiseaux, elle ne cause aucun dommage aux cultures ; sa présence est un signe de paix et de tranquillité dans l’environnement, et son blanc immaculé symbolise la pureté.

L’objectif principal de l’organisation est de garantir la qualité intrinsèque du riz local grâce à un service permanent de contrôle qualité visant à changer l’image du produit et à stimuler les ventes à l’échelle provinciale. Les technicien·ne·s en assurance qualité de l’organisation contrôlent toutes les activités de production, de transformation, de conditionnement, de transport, de stockage et de commercialisation de tou·te·s les acteur·rice·s impliqué·e·s, et attribuent le label Nyange Nyange à chaque lot de riz inspecté qui répond aux normes, avant sa mise en vente. Un emballage de haute qualité portant le label est utilisé pour garantir la qualité auprès des consommateur·rice·s.

Le label couvre un ensemble de critères techniques (par exemple, la disponibilité d’une rizerie bien fonctionnelle), les caractéristiques du riz (variétés cultivées, homogénéité, propreté, blancheur, fraîcheur, humidité, maximum 20 % de grains cassés, présence d’impuretés), ainsi que celles liées aux conditions de stockage (agencement de l’espace, ventilation, état des toits et des murs). Le respect des normes est récompensé par un certificat, conduisant à la signature d’un contrat entre la coopérative et Nyange Nyange. À ce jour, quatre coopératives ont été certifiées : ADPA et GCOOATU à Luvungi, et COOPABA et COOPRITU à Sange.

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La construction d’un marché local

  • Création d’un marché pour le riz de table local de haute qualité : les riziculteur·rice·s de la plaine n’ont plus un seul acheteur (BRALIMA) comme c’était le cas auparavant. Iels peuvent désormais vendre leur production sur le marché de Bukavu via un réseau de distributeur·rice·s, créant ainsi des emplois pour les jeunes et les femmes à tous les maillons de la chaîne de valeur. Une étude d’évaluation a révélé une augmentation de 32 % des revenus des producteur·rice·s grâce aux nouvelles relations commerciales établies via le label.
Nyange Nyange n’est pas seulement une marque de respect pour le riz local, mais aussi une opportunité de valoriser notre métier et un moyen de revitaliser la production de riz et l’ensemble de la filière rizicole de la plaine de Ruzizi. Mabange Nonge Constantin | Gérant de la coopérative COOCAPA
  • Traçabilité du riz dans la zone de production : sur les 8 384,47 tonnes de riz blanc vendues après décorticage par les coopératives impliquées (période 2019-2021), 82,35 tonnes ont été certifiées Nyange Nyange et commercialisées dans la ville de Bukavu et ses environs.
  • Disponibilité du riz Nyange Nyange : le produit est disponible dans 13 supermarchés de Bukavu (Sharcom, La Manne, Exaudus, Maman Domi) et dans la plaine de Ruzizi au sein des différentes coopératives certifiées.
Nous vivions des importations. Nous mangions du riz dont nous ne savions même pas quand il avait été produit. Mais aujourd’hui, nous avons du riz frais qui vient directement des champs. Pour nous, c’est une source de fierté. Marcellin Bahaya | Ancien Ministre provincial de l’Agriculture, Sud-Kivu
  • Développement de nouveaux modèles économiques autour de Nyange Nyange : le tri efficace du riz génère un volume important de riz cassé, qui aurait une faible valeur s’il était vendu tel quel. Cela a inspiré de jeunes et des femmes à créer des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) pour fabriquer des produits alimentaires de haute qualité (biscuits, bouillies, gâteaux, riz soufflé, etc.) à partir du riz cassé, permettant ainsi la diversification des produits et la création de valeur ajoutée dans le secteur rizicole.

Pour les consommateur·rice·s, le riz Nyange Nyange constitue un concurrent sérieux au riz importé, notamment celui de Tanzanie et du Pakistan. Il est apprécié pour six attributs principaux : le goût, la blancheur, la facilité de cuisson, la grande pureté, la fraîcheur et l’emballage. De plus, les conditionnements en sacs de 5 kg, 10 kg et 25 kg permettent à tous les segments de la population d’acheter selon leurs moyens. Cependant, le prix reste légèrement supérieur à celui du riz importé. Nyange Nyange estime que le prix deviendra plus compétitif si le volume de riz vendu augmente. Pour ce faire, l’organisation se concentre également sur la réduction des coûts pour les producteur·rice·s, notamment grâce aux achats groupés de semences et d’engrais et à l’organisation de transports collectifs.

Les riziculteur·rice·s et les coopératives font encore face à des difficultés

Au niveau de la production, la diffusion de technologies innovantes (SRI, ISFM, SRP) et de variétés supérieures a permis d’améliorer les rendements. Malheureusement, le manque d’infrastructures nécessaires pour assurer une gestion efficace de l’eau dans les différentes zones rizicoles reste un problème majeur et limite la surface disponible pour la culture. Rikolto introduit désormais une approche communautaire de gestion de l’eau développée par Africa Rice (Smart Valley) pour les périmètres plus restreints.

Le manque d’équipements de transformation, en particulier de moulins de bonne qualité, ainsi que l’obsolescence des équipements disponibles, entraîne des retards dans la livraison. Les nouveaux moulins fournis aux coopératives par le projet PICAGL devraient résoudre ce problème.

La commercialisation des produits est également freinée par les difficultés de transport. La route reliant la zone de production à la zone de consommation est très dégradée et pentue, ce qui rend le coût du transport très élevé. Par ailleurs, le riz est souvent vendu à crédit et les acheteur·rice·s retardent le paiement, perturbant le cycle normal de trésorerie.

Assurer la disponibilité permanente du riz Nyange Nyange sur le marché urbain représente un défi majeur. Prévenir les ruptures de stock est donc un préalable et une nécessité. Pour y parvenir, un cadre institutionnel pour la commercialisation conjointe du riz Nyange Nyange a récemment été cocréé lors d’un atelier réunissant coopératives et opérateur·rice·s économiques : un modèle de collaboration efficace pour le riz labellisé a été conçu dans une logique gagnant-gagnant, visant à augmenter la qualité et le volume de production grâce à l’accès au crédit agricole, à réduire les coûts fixes ainsi que le risque de non-paiement des factures par les opérateur·rice·s, et à stabiliser le prix du riz sur le marché.

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Défis pour l’avenir

  • La durabilité du label Nyange Nyange : le label est encore subventionné, car le volume vendu reste trop faible pour couvrir l’ensemble des coûts avec les revenus générés. Toutefois, sa durabilité à long terme repose sur son autonomie. Le mécanisme d’autofinancement consistera à prélever un petit montant sur chaque kilogramme vendu. Cela nécessite un volume optimal de riz vendu chaque année, et donc davantage de consommateur·rice·s doivent être familiarisé·e·s avec le riz labellisé !
  • La réplication du modèle : les résultats de cette première expérience (label Nyange Nyange) ont été très encourageants. Le modèle est en cours de réplication à Kalemie, dans la province du Tanganyika, où Rikolto soutient également les riziculteur·rice·s. Le nouveau label s’appellera « Magoyo rice ».

La confiance accordée au label Nyange Nyange est un élément clé pour la promotion réussie du riz local. C’est un moyen efficace de transformer nos systèmes alimentaires en systèmes plus durables, en réduisant la fragilité des systèmes alimentaires dépendant des importations.

Éditrice : Heleen Verlinden | Communications internationales, Rikolto

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